Quelques petits textes explicatifs sur ces travaux un peu décalés, ils donnent quelques pistes sur le pourquoi du comment.

Sur les TUMULUS

Dans les gravures de la série des TUMULUS, Eric Jégat associe la technique traditionnelle de l'eau-forte à des collages photos dans une démarche plus conceptuelle de confrontation  entre "création/réalité".
Cette série est née de l’expérimentation de la gravure sur des plaques d’acier (matériau peu utilisé dans la pratique de la taille douce).
Aucun instrument habituel ne pouvant attaquer aisément la plaque d’acier, c’est grâce à du matériel industriel (fraises mécaniques), qu’il a pu graver la plaque avant de la plonger dans un bain d’acide.

La difficulté à manipuler et à contrôler  les fraises mécaniques a modifié le geste même de l’artiste qui ne pouvant pas « rentrer dans les détails » d’un graphisme élaboré,  l’a conduit à tracer et inciser des lignes et des formes sinueuses, « géomorphiques », issues des mouvements aléatoires de la main.
C’est après avoir imprimé les gravures, que l’artiste s’est posé la question de savoir si ces formes créées  avaient un point de rencontre dans la réalité concrète.
Autrement dit : tout ce qu’un esprit peut créer existe-il déjà dans le réel ?
Des nombreuses photos ont été prises, cimes de montagnes, arbres, architectures diverses… Ensuite l’artiste a choisi et collé sur la gravure celles qui correspondaient aux signes gravés : les contours et les formes d’objets existants épousent parfaitement les lignes imprimées.
Les correspondances sont troublantes : ne sont-elles pas finalement la réponse à ce rêve de toute puissance de l’artiste démiurge : peut-on « plier » le réel pour qu’il s’adapte à l’imaginaire ?

        Alessandra Cola

 

Sur le SYSTEME SOLAIRE

Cette série est très éloignée, dans tous les sens du terme, de celle des Empreintes et Traces, c'est d'ailleurs cet éloignement, voulu, qui l'a provoqué et fait naître. Les deux cycles constituent les deux extrêmes de ce que l'on peut toucher, du plus proche au plus loin, au moins du regard. Ils sont tout de même reliés par au moins une peinture, une sorte de chaînon qui manquait mais qui d'une série validait l'autre : "Moon" ou le premier pas de l’Homme sur la Lune. Même si au départ le projet ne consistait qu'en petites peintures (25x32cm), je me suis vite aperçu qu'elles ne me suffisaient pas.
Je les ai donc marouflées sur une feuille plus grande (50x65cm), la peinture plus petite figurant notre vision ou notre point de vue, que j'ai cadré comme le ferait un appareil photo, le monde autour de ce cadre n'existant plus que sous forme de lignes, de sous-structure à une réalité qui nous paraît normale et n'est pleinement présente qu'à l'intérieur de "notre" cadre. La superficie, la consistance et la qualité de ce cadre variant d’un individu à l’autre puisque relié à l’histoire de chacun.

        Eric Jégat      

 

Sur les CHUTES

Cette série est un ensemble assez disparate de peintures/gravures/sculptures qui traite autant de l'équilibre que du déséquilibre. Et qui est née d'une peinture que j'ai mise à l'envers, ainsi Atlas soulevant le monde s'est transformé en un pauvre être écrasé au sol (voir Personnage bleu). Par la suite j'ai enlevé le sol sur lequel reposait depuis toujours mes personnages, provoquant la question de savoir dans quel sens accrocher les tableaux.

       Eric Jégat

 

Sur les ANANTHROPIES
(Du préfixe « an » pour l’absence et « anthropos » pour l’humain)

C’est en voulant faire un travail décalé par rapport à ma production habituelle que sont nées les « Ananthropies », en regard de ce qui a fait l’essentiel de mon travail en peinture depuis 20 ans, c'est-à-dire la matière du corps humain, de sa légèreté à sa pesanteur.
Les Ananthropies sont un ensemble de peintures sur papier dont le dénominateur commun est essentiellement la non-présence de l’Homme. Il est là et reste le sujet principal, en creux puisqu’il s’agit d’éviter de le représenter, mais confiné hors de l’espace peint.
En me libérant du sujet humain, une porte s’est ouverte sur de nouveaux horizons, le prétexte à une remise à plat d’habitudes gestuelles et techniques, la possibilité de pouvoir tout peindre, une sorte de nouveau départ.
Très vite cependant, le large éventail de possibilités que je m’étais offert s’est restreint à trois ou quatre sujets comme si par l’effet d’un réflexe agoraphobique face à cette  infinité potentielle de sujets, mon esprit avait dressé des murs et s’était de lui-même imposé des limitations de formes et de sens. J'ai choisi ici de ne montrer que le sujet du PATE DE SABLE.
Il est certain que s’ensuivront dans le futur d’autres essais d’émancipation du sujet humain, mais il est certain aussi que dans mon cas il n’est pas possible de « tout peindre ».

          Eric Jégat   

 

Sur la LIGNE DE VIE

Une suite de peintures lumineuses, aux tons diaphanes, des gris, des terres estompées : avec la série LIGNE DE VIE, l’artiste poursuit son travail centré sur l’exploration du corps humain confronté à la matière picturale. Après des séries sur les ombres et les empreintes  (les « traces » laissées par le corps lors de sa disparition), la forme humaine, silhouette à peine esquissée, aux contours hésitants, renaît sur la surface picturale.
L’abandon de la couleur, le choix du (presque) monochrome, crée une unité visuelle.
Le fond blanc, crayeux c’est le degré zéro de la peinture, des nouvelles formes apparaissent, mais sans faire table rase du passé pictural car des filiations existent avec les œuvres précédentes de l’artiste.

Le mélange d’enduit, de cire et de peinture à l'huile crée des vibrations et des transparences, la matière recouvre la toile et recouvre sa fonction de matrice qui engendre les corps. Matière fertile parcourue par une plaie, qui incise à vif les chairs, Ligne de Vie qui se poursuit de tableau en tableau, reliant les corps dans une seule destinée. Des êtres se meuvent, encore retenus par la matière épaisse, énigmatiques, pas de pathos exacerbé, juste parfois l’écho d’un cri qui demeure, mais ailleurs  c’est déjà le silence qui apaise.

           Alessandra Cola

 

Sur les VILLES DE CUIVRE

Suite de 15 eaux-fortes et aquatintes (et un fil de cuivre) de 2008 à 2009

La série de gravure  « Villes de Cuivre » comporte des fils de cuivre, qui sont visuellement comme des lignes de cuivre.
C’est une suite de gravures dont l’idée de base est l’utilisation d’un fil de cuivre pour créer un gaufrage en forme de ligne et, peut-être, y couler de la cire comme j’ai pu le faire dans le passé.
Mais le besoin de changer de technique, ajouté à l’envie d’inclure dans le tirage un élément unique m’a fait sauter le pas : un fil de cuivre compressé dans le papier pour chaque exemplaire. Et ainsi ajouter au papier l’élément cuivre, le métal même dont est fait la matrice, le métal que j’incise, creuse et maltraite, pour en tirer ces images et leur donner une épaisseur inédite.
Lui donner la forme des sujets explorés dans la peinture, comme la ville et le désert, m’a lancé dans cette série, avant que la ligne ne s’émancipe et donne, qui sait, matière à sujet pour de futures peintures.

       Eric Jégat